Il est 22 heures, il fait froid et je me demande ce que je suis en train de faire au juste. Il se trouve que je me suis lancée à contre-coeur dans la lecture de quelques poèmes du recueil « Les fleurs du mal » de Baudelaire. Et il faut le dire, cela me prend des heures à décortiquer tellement certains poèmes sont complexes à analyser. Cela fait écho à un débat qui fait rage chez les poètes. Nous avons d’un côté, les poètes du nord qui pensent que la forme est l’essence de de la poésie et de l’autre les poètes du sud qui veulent la liberté, une poésie venant droit de leurs coeurs enflammés. Qui a raison, qui a tort ? Je te propose une réflexion personnelle: en poésie le fond prime t’il sur la forme ?

Cet article s’inscrit dans le cadre du carnaval d’articles proposé par Lorenzo du blog des rouages de l’écriture dont je te mets le lien ici.

En poésie, le fond prime t’il sur la forme : Génèse

Lorsque je vous parle de poésie, qu’est ce qui vous vient en premier en tête ? C’est une question difficile et selon votre éducation, il y a deux hypothèses. Première hypothèse: Si vous avez écouté vos cours de français au lycée et que vous avez quelques restes, les noms de poètes comme Baudelaire ou Rimbaud doivent vous venir facilement à l’esprit. Deuxième hypothèse: Si vous êtes sur les réseaux sociaux comme Instagram , vous êtes familiers des textes expressifs comme ceux de Cécile Coulon ou Rupi Kaur qui sont des figures connues de la poésie actuelle.

La poésie s’est divisée ses dernières années en deux écoles vraiment distinctes. Même si la division des poètes de la forme et ceux du fond ne date pas d’hier. Pour pouvoir en discuter librement, définissons ce qu’est la forme. Par forme en poésie, j’entends dans la suite de ce texte, l’utilisation de structures fixes comme le sonnet . Nous avons donc un nombre de vers précis, des rimes préméditées et le respect des règles de la poésie classique. Par le fond, j’entendrais donc tout poème ayant une structure non prévisible.

En poésie, le fond prime t’il sur la forme : La beauté du fond

Je devais avoir 14 ans lorsque j’ai découvert la poésie grâce à mon professeur de philosophie. J’avais quelques années d’avance dans mes études … Je ressemblais à un vilain canard buté à chaque fois que je remettais en question les écrits d’un certain Platon. Le premier recueil de poésie qui nous a été proposé à la lecture , c’était « Paroles » de Prévert. Je suis toujours reconnaissante que ce recueil ait été ma première fois… Je ne suis pas sûre que j’aurais autant aimé la poésie si j’en avais lu un autre en premier. Ce qui m’a frappée dans l’écriture de Prévert ce sont d’abord les thèmes. Il parle de guerre, d’amour, de l’école avec une simplicité incroyable. C’est poignant et on ne se demande pas ce qu’il veut dire tout au long de la lecture. L’un de mes poèmes préférés c’est le cancre.

Poème: Le cancre

Il dit non avec la tête

mais il dit oui avec le coeur

il dit oui à ce qu’il aime

il dit non au professeur

il est debout

on le questionne

et tous les problèmes sont posés

soudain le fou rire le prend

et il efface tout

les chiffres et les mots

les dates et les noms

les phrases et les pièges

et malgré les menaces du maître

sous les huées des enfants prodiges

avec les craies de toutes les couleurs

sur le tableau noir du malheur

il dessine le visage du bonheur

Prévert n’utilise pas de forme fixe dans ses poèmes. Il ne suit pas de logique fixe dans ses rimes ce qui n’empêche pas le poème d’être chantant mais j’y reviendrais plus tard.

Intéressons nous au fond…

Ce poème porte un message très fort qui parlera à tous ceux ayant eu des difficultés scolaires ou même professionnelles. Il parle à tous ceux qui sont considérés comme étant des ratés de cette société. Le poème délivré de toute lourdeur syntaxique transmet son message dans le plus simple appareil. Et c’est en cela que je pense que sur certains thèmes ou messages forts… La sincérité, l’authenticité sont plus importants que la forme.

En tant que lectrice, je suis toujours touchée de sentir « la spontanéité », « le cri du coeur » qui me fait dire que le poète parle de quelque chose qui vient de ses tripes. Ce sentiment est d’autant plus fort que le message porte sur un sujet universel. Si Prévert s’était contenté de parler de ses chaussettes, je ne suis pas sûre que ce poème serait resté dans l’histoire.

En poésie, le fond prime t’il sur la forme : Le cadeau de la forme

Les poètes sont des grands amoureux de l’amour … Il faut le dire, les vers enflammés ne sont pas ce qui manquent en poésie, l’amour étant l’un des sentiments les plus inspirants pour les humains. Si on prend communément les sujets amoureux qui reviennent constamment, nous pouvons lister:

• Je t’aime
• Je te déteste
• Tu m’as fait souffrir
• Elle est belle/Il est beau
• Je ne t’oublierai jamais
• Et autres jolies variations …

Comme on peut le constater, les poètes parlent souvent de la même chose. Si on se contentait de résumer leurs textes , à vrai dire … Il ne resterait pas grand chose de très intéressant. Surtout si on compare à un bon roman policier avec du sang. Ne comparons même pas à un roman fantastique avec des dragons qui vont sur Saturne.

Et c’est là que la forme prend tout son sens.

Elle donne au poète une structure qui l’oblige à se tourner les méninges. Ceci lui évitant la dérive de nous raconter sa vie. Elle l’oblige également à trouver des rimes intéressantes, à synthétiser sa pensée et à travailler le son du poème. Parce que si la poésie doit être poignante, elle doit aussi être chantante. Les règles de la poésie classique sont à mon sens étudiées pour faciliter cet aspect rythmé de la poésie lue.

De plus, il faut dire, que la forme est impressionnante pour le lecteur. Un poème qui parle d’un tournevis peut prendre une toute autre dimension enrobé sous forme d’un sonnet ou d’une ballade. Cela représente une corde supplémentaire au poète. A défaut de nous livrer un poème sur un thème fort , il nous parlera d’un sujet commun de façon agréable. Je vous laisse un sonnet de Baudelaire que j’ai lu récemment.

A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

Je trouve ce sonnet magnifique, le thème est simple, les rimes sonnent bien. Elles sont aussi suffisamment recherchées ( majestueuse avec fastueuse, ouragan extravagant , beauté éternité). Au vu des contraintes de l’exercice, le fond n’est pas du tout happé par la forme. On peut même dire je trouve que la simplicité du fond est complètement magnifiée par la forme.

Si on considère la poésie comme un plaisir sonore , alors on ne peut pas se passer de la forme. Il m’est arrivé de ne rien comprendre à un poème et de le trouver magnifique. Tout comme il m’arrive d’écouter des chansons étrangères et sans en comprendre un mot … La beauté et le rythme du texte me transperce au delà de ma compréhension.

La beauté de la forme est selon moi un ingrédient irremplaçable en poésie. Savoir l’utiliser seule ou au profit du fond est un cadeau.

En poésie, le fond prime t’il sur la forme : Le fond ou la forme ?

Je vais finir cette réflexion par deux questions simples : « Qu’est ce que la forme ? » et « Qu’est ce que le fond ? ».

En poésie on observe deux extrêmes. D’un côté des poètes qui maîtrisent la poésie dite classique, de véritables génies de la technique mais …Leurs poèmes sont dénués de fond et d’authenticité. Ils ont la forme mais qui lirait un texte dont le sujet est si obscur qu’il faut toute une vie pour le trouver ?

De l’autre , les poètes qui ne pensent qu’à s’exprimer et à donner leurs états d’âme, leurs poèmes sont remplis d’égoïsme… Ils traitent de sujets accessibles et pourtant … Est ce que le lecteur doit être bouleversé par tous les poètes brisés par l’amour ? Ils font de la poésie, un forum de psychologie.

J’aimerai donc redéfinir la forme. Comme vous avez dû le constater dans le poème de Prévert , il y a une forme même si elle n’est pas fixe. L’utilisation des figures de style, de répétitions, d’images donnent au texte un très beau rythme. Je souhaiterai donc élargir la définition au fait d’utiliser les subtilités de la langue pour transmettre un message.

J’aimerai également redéfinir le fond au fait de traiter un sujet pertinent et universel .

Lorsque Prévert parle du cancre, il ne parle pas particulièrement de lui, il parle de façon générale. C’est selon moi un sujet de fond. Le vrai sujet de fond est tellement fort que je pense qu’il peut se passer de toute complication syntaxique. C’est le cas de poésies qui traitent de problèmes actuels. La politique, la protection de la nature, la dépression, la guerre et autres dérives de notre siècle.

Lorsque Baudelaire parle de la passante qu’il aurait volontiers … épousée, ce n’est pas un sujet de fond. C’est un sujet personnel, familier magnifié et rendu universel par sa forme.

Un sujet personnel ou accessible n’est donc pas un sujet de fond. C’est un sujet personnel qui à défaut de forme restera un sujet personnel.

Le fond ou la forme ? Au vu des définitions et des éclaircissements portés plus hauts, je dirais donc que s’il faut choisir, je choisis la forme.

Les poèmes d’une profondeur extrême restent ponctuels dans l’oeuvre des poètes même les plus prolifiques et talentueux. Ce sont des poèmes qui en général sont connus et reconnus du plus grand nombre pour leur message. Les poètes doivent donc souvent parler de situations ordinaires, personnelles presque rébarbatives. Du moins, du point de vue de tous les poètes qui vivent les mêmes choses et traitent ces même thèmes.

Leurs poèmes se distinguent donc par leur capacité à transmettre ces situations avec un style personnel auquel le lecteur peut se connecter.

Je pense sincèrement que la notion d’un message accessible que ce soit par la forme ou le fond est essentielle. Lorsqu’il y a un message de fond accessible, on ressent naturellement l’envie de creuser la forme. Même si elle est complexe, on veut essayer de saisir tout le sens de ce que le poète transmet. Lorsqu’il y a une forme accessible, on partage ave le poète, la beauté et l’amour de la langue. Ceci même si le fond est creux.

Conclusion

Il y a toujours une connexion qui doit se créer en poésie. Après tout fond ou forme qu’importe ! Quel débat y’a t’il s’il y a entre le lecteur et l’auteur un plaisir commun à partager.

Et toi ? Plutôt Nord ou Sud ?